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Trump-Poutine en Alaska, un sommet bilatéral pour un conflit multilatéral

Aujourd’hui, 15 août 2025, M. Donald Trump et M. Vladimir Poutine se rencontreront en Alaska. Loin d’être un simple tête-à-tête sur l’Ukraine, ce sommet s’inscrit dans une confrontation bien plus large : celle qui oppose, par acteurs interposés, l’OTAN et la Russie. C’est précisément ce caractère systémique du conflit qui rend l’exercice à la fois pertinent dans sa forme, mais probablement voué à l’échec.

Un format justifié par la nature du conflit
Dans une guerre par procuration, seules les puissances principales peuvent décider de l’issue du conflit. Que M. Zelensky et les Européens soient écartés des discussions ne change pas la nature du dialogue : celui-ci doit se tenir entre les deux principaux belligérants — Washington et Moscou — qui contrôlent les flux d’armes, les sanctions, ainsi que la posture militaire générale. Ce format réduit évite l’écueil de négociations où les acteurs de second plan viendraient brouiller les lignes.

La question centrale : l’architecture de sécurité en Europe
Un point de blocage majeur réside dans la manière dont chaque camp envisage l’ordre de sécurité post-Guerre froide. Pour la Russie, l’expansion continue de l’OTAN vers l’est n’est pas seulement une inquiétude théorique : c’est une menace existentielle, confirmée par le souvenir des interventions militaires menées par l’Alliance depuis les années 1990 — de la campagne aérienne contre la Serbie en 1999 à l’invasion de la Libye en 2011, en passant par l’intervention prolongée en Afghanistan. Ces opérations montrent que l’OTAN n’est pas une alliance purement défensive, mais un bloc politico-militaire capable de projeter sa puissance à l’extérieur de ses frontières et de renverser des régimes.

Les Occidentaux, eux, affirment défendre le droit souverain de chaque pays à choisir ses alliances. Ce faisant, ils écartent un principe inscrit dans plusieurs déclarations internationales, celui de la sécurité indivisible selon lequel aucun État ou groupe d’États ne devrait renforcer sa sécurité au détriment de celle d’un autre. En insistant sur l’élargissement de l’OTAN sans tenir compte de cette notion, l’Occident impose un cadre où la sécurité des uns se construit sur l’insécurité des autres.

Dans ce contexte, M. Donald Trump semble aborder la négociation à partir d’un prisme trop étroit : celui des lignes de front et d’éventuels échanges territoriaux entre Moscou et Kiev. Une telle approche réduit la guerre à un problème cartographique et occulte ses dimensions structurelles : l’architecture de sécurité européenne, la posture et l’expansion de l’OTAN, les garanties juridiquement contraignantes, le contrôle des armements et la neutralité durable de certains États. Aux yeux des Russes, ce sont-là les causes profondes du conflit, elles ne peuvent être mise de côté.

Des positions inconciliables
Même sur la question pourtant limitée du cessez-le-feu, les positions russes et occidentales apparaissent inconciliables. Moscou affirme ne pouvoir accepter une trêve que si l’armée ukrainienne se retirait des parties des oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson non encore conquises. Pour le Kremlin, ces territoires font désormais partie de l’État russe et ne peuvent faire l’objet de négociations territoriales. Les capitales occidentales, au contraire, considèrent que ces zones sont occupées illégalement. Un cessez-le-feu ne pourrait être imaginé que sur la ligne de front, sans retrait ukrainien. Ainsi, même ce qui pourrait sembler l’étape la plus simple d’un accord — l’arrêt temporaire des hostilités — devient en réalité un champ de bataille diplomatique où chaque camp voit dans les conditions de l’autre une capitulation déguisée. Tant que cette divergence persiste, même une pause humanitaire paraît hors de portée.

Un déficit structurel de confiance
Des années de sanctions, de contre-sanctions, de ruptures diplomatiques et de guerres de communication ont érodé la confiance mutuelle. Chacun soupçonne l’autre de n’utiliser le dialogue que pour gagner du temps ou renforcer ses positions. Cette méfiance est renforcée par le précédent des accords de Minsk II, signés en 2015 pour mettre fin aux hostilités dans le Donbass. Présentés alors comme la feuille de route vers une paix négociée, ces accords prévoyaient un cessez-le-feu, un retrait des armes lourdes et une réforme constitutionnelle garantissant un statut spécial aux régions concernées. Mais aucun effort sérieux n’a été entrepris par les Occidentaux pour contraindre Kiev à appliquer les dispositions clefs, tandis que plusieurs dirigeants européens ont reconnu par la suite que ces textes avaient servi à « gagner du temps » afin d’armer l’Ukraine et de renforcer ses capacités militaires. Pour Moscou, cet épisode illustre la valeur toute relative des engagements pris par les Occidentaux. 

La logique du « jeu à somme nulle »
Les deux puissances abordent le sommet avec l’idée que tout gain de l’autre est une perte pour soi. Cette vision, typique des rivalités entre grandes puissances, rend la recherche d’un compromis authentique particulièrement difficile, toute concession étant perçue non comme un investissement dans la stabilité, mais comme un recul stratégique.

L’absence d’un mécanisme de suivi
Un sommet réussi ne se mesure pas seulement à l’issue de la conversation initiale, mais à la mise en place de groupes de travail, de calendriers, de vérifications mutuelles. Ici, aucun dispositif de ce genre n’est annoncé. Sans structure de suivi, la rencontre risque de rester un événement isolé, sans traduction concrète.

Un contexte international verrouillé
Les alliances se sont resserrées : l’OTAN a renforcé ses rangs, tandis que la Russie a consolidé ses liens avec la Chine, l’Iran et la Corée du Nord pour réduire sa dépendance à l’Occident. Dans le cadre de cette logique de blocs, toute avancée bilatérale entre Washington et Moscou serait perçue par de nombreux pays européens non comme une ouverture vers la paix, mais comme une menace pour leur influence et leur sécurité perçue. Redoutant qu’un compromis américano-russe se fasse à leurs dépens — par exemple en acceptant la neutralité de l’Ukraine ou en limitant l’expansion future de l’OTAN — certaines capitales font et feront tout pour empêcher un tel accord. Pour ces États, mieux vaut prolonger la confrontation que risquer un réaménagement stratégique négocié au-dessus de leur tête. Cette dynamique trouve un écho à Washington même : au sein de ce que l’on appelle l’ « État profond » américain — réseaux permanents de hauts fonctionnaires, de responsables sécuritaires et de décideurs influents — prévaut l’idée qu’une paix durable avec la Russie affaiblirait la justification de l’imperium américain en Europe et réduirait la capacité des États-Unis à contenir l’influence russe sur le continent. Dans cette logique, tout rapprochement stratégique est perçu non comme une stabilisation bienvenue, mais comme une menace directe pour la position globale américaine.

En somme, si le sommet de l’Alaska ouvre un canal direct au plus haut niveau entre deux acteurs clefs de la crise, les lignes de fracture profondes, la logique des intérêts de puissance et l’absence d’instruments pour traduire un geste en politique durable font qu’il a toutes les chances de se solder par un échec. Peut-être sera-t-il un moment visuellement fort, mais probablement pas un tournant stratégique. L’issue de la guerre risque, hélas, de se décider sur le champ de bataille.

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