Dans une de ses récentes chroniques au Figaro titrée « L’usage abusif des sanctions internationales », Renaud Girard mentionne « un jeune Russe, arrivé en Suisse à 15 ans pour y faire ses études, et aujourd’hui citoyen helvétique, parfaitement francophone, sanctionné simplement parce que son père était le fondateur du Vallourec russe… Ses comptes bancaires sont gelés et il n’a plus le droit de se rendre sur le territoire de l’Union européenne ».
Ce « jeune russe » est Alexander Pumpyansky.
Les sanctions qui pèsent sur lui depuis le début de la guerre en Ukraine – au motif qu’il est le fils de son père – ont fait l’objet d’un renouvellement continuel, en dépit du fait de l’annulation répétée des dites sanctions par le tribunal de l’Union européenne lui-même, ce dernier ayant admis que Alexander Pumpyansky n’est en aucune façon impliqué dans le conflit qui oppose aujourd’hui la Russie à l’Ukraine. Pas plus que ne le sont son père et sa mère, selon le même tribunal, pourtant eux aussi sanctionnés.
Alors comment en est-on arrivé à une situation digne du Procès de Kafka où l’homme d’affaire russo-suisse se trouve sous sanction bien que jugé innocent ?
La raison est la suivante : les sanctions, décidées par des fonctionnaires non élus puis entérinées par le Conseil de l’union européenne sans aucun procès ni instruction à charge et à décharge, ont une durée de six mois aux termes desquelles elles sont prolongées ou non. Cette réévaluation périodique est censée permettre aux personnes sanctionnées de plaider leur cause, devant un juge cette fois. Ce fonctionnement serait équitable si, une fois innocenté, le demandeur était bel et bien retiré de la liste des personnes sanctionnées. Or ce n’est pas le cas. Bien que le tribunal ait reconnu à deux reprises l’injustice faite à Alexander Pumpyansky et donc annulé les sanctions qui pesaient sur lui, l’homme d’affaire a à chaque fois été par la suite réinscrit sur la liste des personnes sanctionnées. Le Conseil se montre donc totalement indifférent à l’avis des juges européens ! En bref, tant que la volonté politique de sanctionner un tel ou un tel demeure, les actions intentées devant les juridictions européennes sont dépourvues d’effets pratiques. Le tribunal a beau reconnaître votre innocence, cela ne change rien à votre situation. Ce n’est qu’une victoire morale au goût amer…
Il s’agit là d’un déni de justice. Il est hélas loin d’être unique, comme l’a souligné le diplomate français Eugène Berg dans La Tribune. On pourrait s’en consoler en se disant qu’il ne touche que des Russes fortunés. Ce serait pourtant rater l’essentiel : si les sanctions sont nécessaires pour soutenir l’Ukraine, elles ont besoin d’être justes pour être légitimes. On ne peut répondre à une invasion illégale par des mesures arbitraires. Accepter ces graves entorses aux libertés fondamentales reviendrait à accepter de remettre en cause les valeurs-même que l’U.E. cherche à défendre : celles de État de droit.