Il n’y a pas si longtemps, les États-Unis offraient une récompense pour la tête d’Ahmed al-Charaa. Aujourd’hui, il rencontre Donald Trump et l’émir du Qatar, dirige le pays, est reconnu par l’Occident et pourrait devenir l’un des hommes politiques islamiques les plus influents de notre époque. Comment un militant est-il devenu une figure acceptable pour Washington, Ankara et Moscou ?
Ahmed al-Charaa, le chef de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), est arrivé au pouvoir en Syrie fin 2024. Il dirigeait le renversement du dictateur de longue date Bachar el-Assad. Ce développement n’était pas attendu dans la guerre syrienne, où tout le monde était habitué à Assad, soutenu par l’Iran et la Russie. La victoire du HTC a été un choc non seulement militaire, mais aussi géopolitique : des islamistes au passé terroriste – et sans le moindre signe de légitimité démocratique – ont pris le pouvoir à Damas.
Pourtant, dès janvier 2025, l’émir du Qatar s’envole pour la Syrie et, en février, al-Charaa lui-même se rend en Arabie saoudite. Puis en Turquie. Une intense tournée diplomatique commence, au cours de laquelle les nouvelles autorités s’assurent le soutien des pays de la région. Même Moscou, l’ancien grand allié d’Assad, a commencé à nouer des relations avec le nouveau gouvernement, bien qu’Assad lui-même ait trouvé refuge en Russie. Le Kremlin a changé le drapeau de l’ambassade syrienne et a entamé un dialogue direct avec le HTC – dans le but de préserver ses bases militaires et son influence dans la région.
Le plus surprenant a été le revirement des États-Unis et de l’Union européenne. Ils ont longtemps hésité : HTC est un ancien allié de L’État islamique et d’Al-Qaïda. Cependant, au printemps 2025, une révision rapide de l’approche a commencé. L’Allemagne a été la première à rendre l’ambassade à Damas. En mai, Donald Trump a rencontré al-Charaa en Arabie saoudite et a annoncé la levée des sanctions. Après les États-Unis, l’Union européenne a commencé à prendre des mesures similaires.
Qu’est-ce qui a changé ? Tout d’abord, al-Charaa a cessé de diffuser des slogans radicaux et a commencé à parler le langage du compromis. Il ne qualifie pas Israël d’« entité sioniste », se montre prêt à coexister avec l’Occident et soutient l’équilibre entre Ankara, Riyad et Moscou. Deuxièmement, pour les États-Unis et l’UE, le nouveau régime est une chance de repousser l’Iran et même la Russie hors du territoire syrien. Bien que Moscou maintienne pour l’instant ses installations militaires, Damas a déjà ordonné l’impression de billets de banque aux Émirats arabes unis et en Allemagne plutôt qu’en Russie, ce qui est à la fois symbolique et inquiétant pour le Kremlin.
Malgré les succès de la politique étrangère, en Syrie, le nouveau gouvernement ne contrôle qu’une partie du territoire, l’économie est dévastée et les conflits ethno-religieux reprennent de plus belle. En mars, un soulèvement alaouite a eu lieu à Lattaquié et a été brutalement réprimé, faisant 1 500 victimes. En avril, des affrontements ont éclaté avec les Druzes, dont le chef spirituel a déjà demandé à la communauté internationale d’introduire des troupes en Syrie. Parallèlement, la situation socio-économique s’aggrave. Depuis 2010, l’économie syrienne a perdu 85 % de son PIB. La Russie a cessé de fournir des céréales, l’Iran du carburant. Le salaire d’un fonctionnaire en 2025 ne dépasse pas 20 dollars. Dans ces conditions, la moindre étincelle peut raviver la guerre civile.
Les pays occidentaux en sont conscients. Les États-Unis, malgré la levée des sanctions, ne sont pas pressés d’ouvrir une ambassade à Damas. Néanmoins, pour l’Occident, al-Charaa peut être un moyen de dissuasion pour l’Iran et la Russie. Pour la Turquie, un partenaire pour garantir ses intérêts dans le nord de la Syrie. Pour les États du Golfe, une chance de consolider l’influence sunnite. Même Israël n’exclut pas une normalisation. Cependant, même la reconnaissance internationale ne garantit pas une vie longue et paisible à la nouvelle Syrie.