Le président Donald Trump s’était engagé à trouver une issue au conflit entre la Russie et l’Ukraine dans un délai de cent jours. Le délai est passé, mais les négociations n’ont toujours pas abouti. La reprise du dialogue entre les États-Unis et la Russie est néanmoins un changement politique majeur qui pourrait conduire à une normalisation des relations bilatérales et à la levée des sanctions américaines qui frappent la Russie, notamment dans le domaine énergétique. Dans le même temps, l’Union européenne prépare un 17ème paquet de sanctions portant sur le gaz et la flotte clandestine russe, afin de tenter d’empêcher le contournement du plafonnement des prix du pétrole. Dans ce contexte mouvant et incertain, il est important de faire le point et de tenter d’évaluer les mesures déjà prises afin d’en corriger les défauts éventuels. Car les sanctions doivent résoudre les problèmes, et non en créer de nouveaux.
En 2022, afin d’affaiblir économiquement la Russie et d’entraver sa campagne militaire, les États-Unis, les autres membres du G7 et l’Union européenne ont décidé de plafonner le prix du pétrole russe à 60 dollars le baril. L’idée était que, puisqu’il était impossible d’empêcher d’autres pays, notamment l’Inde et la Chine, d’importer du pétrole russe, plafonner le prix du baril aurait au moins l’avantage de réduire les bénéfices tirés des ventes.
Il est important de comprendre que la coalition du G7 qui a introduit le plafonnement des prix a délibérément choisi de ne pas imposer d’embargo sur le pétrole russe. La Russie étant le deuxième exportateur mondial de brut après l’Arabie saoudite, son retrait du marché aurait entraîné des pénuries et une forte hausse des prix, avec pour conséquence probable une crise économique mondiale.
Pour être efficace, cette mesure de plafonnement s’accompagnait d’une interdiction pour les compagnies maritimes basées dans les pays signataires de transporter des cargaisons de pétrole vendues à plus de 60 dollars le baril. Pour compléter le dispositif, la coalition du G7 a introduit une interdiction supplémentaire pour les entreprises des pays signataires de fournir des services d’assurance ou de réassurance aux pétroliers transportant du pétrole vendu à plus de 60 dollars. L’assurance étant en théorie obligatoire pour le transport maritime, cela aurait dû permettre d’appliquer largement la sanction. Il s’est toutefois avéré que ce mécanisme, conçu par des bureaucrates trop éloignés des réalités du commerce mondial, n’a pas fonctionné.
Pour contourner le plafonnement des prix, la Russie a eu recours à ce que certains médias ont appelé une « flotte fantôme » ou une « flotte noire ». Selon un rapport publié le 30 mai 2024 par Lloyd’s List Intelligence, cette « flotte fantôme » comprend quelque 600 navires non identifiés transportant près de 1,7 million de barils de pétrole par jour vendus à un prix supérieur à 60 dollars. Quant aux grands assureurs maritimes occidentaux, ils ont préféré se retirer d’un marché devenu incertain, voire dangereux. En effet, il n’est pas aisé de savoir si un navire appartient ou non à la « flotte fantôme », non seulement parce qu’il n’existe pas de définition juridique de ce terme, mais aussi parce que les navires changent fréquemment de nom et sont enregistrés par des sociétés écrans. Il est également difficile de savoir si le pétrole transporté est vendu à un prix conforme au plafond, car le prix de vente est protégé par le secret commercial (il n’est connu que des négociants en pétrole ; ni les armateurs ni les assureurs n’y ont accès).
Bien que ce ne fût pas son objectif, le mécanisme de plafonnement des prix du pétrole a eu pour effet d’inciter les principaux assureurs occidentaux à se retirer du transport maritime de cargaisons russes à base d’hydrocarbures. Leur retrait a d’abord été compensé par les principaux assureurs russes, mais ceux-ci ont rapidement été sanctionnés, sans que cela ne ralentisse le commerce pétrolier russe. À mesure que les principaux assureurs occidentaux et russes disparaissaient du marché, ils ont été remplacés par de nouvelles sociétés disposant de peu ou pas de capital, certains pétroliers naviguant même sans assurance ! Au vu de cette situation, il semble que le mécanisme mis en place par la coalition du G7 doive être repensé.
En effet, pour atteindre l’objectif de la coalition du G7, qui consiste à réduire les revenus de la Russie provenant des ventes de pétrole à l’étranger tout en maintenant la stabilité des prix du marché mondial du pétrole, les cargaisons maritimes russes doivent non seulement continuer à être transportées, même à des prix réduits, mais aussi dans le respect des exigences maritimes internationales, ce qui nécessite d’avoir accès à des assureurs bien capitalisés. Sans la participation des assureurs maritimes mondiaux, la politique de plafonnement des prix du pétrole ne peut être mise en œuvre efficacement. Sans assureurs réputés, qu’ils soient occidentaux ou russes, pour faire respecter les règles, les transporteurs continueront tout simplement à se tourner vers des opérateurs peu scrupuleux ou à ne pas s’assurer du tout. Il en résultera une augmentation des risques de toutes sortes (risques accrus de marées noires et de catastrophes environnementales, risques accrus de collisions et d’erreurs de navigation), sans que ceux-ci soient couverts.
Les grands assureurs sont les garants de la sécurité du commerce maritime mondial. Ils jouent un rôle essentiel pour garantir que les navires naviguent en toute sécurité, sont en bon état de navigabilité et restent correctement assurés. Les exclure du marché, que ce soit directement (en les sanctionnant) ou indirectement (en les menaçant de lourdes amendes), revient à supprimer une garantie essentielle pour l’industrie maritime. L’absence des grands assureurs occidentaux et russes du marché de l’assurance P&I ne signifie qu’une chose : l’abaissement des normes de sécurité internationales. Depuis 2022, la désorganisation du marché du transport maritime n’a fait que s’accentuer.
Les mesures précipitées prises par la coalition du G7 paraissent donc aller à l’encontre des objectifs déclarés de plafonnement des prix du pétrole, car non seulement elles ne permettent pas d’empêcher la vente de pétrole russe à plus de 60 dollars le baril, mais elles créent également une incertitude sur les marchés mondiaux du transport maritime, de la finance et de l’assurance, et augmentent les risques pour les personnes et l’environnement. Alors que l’Union européenne travaille à l’élaboration de nouvelles sanctions attendues pour la fin du mois de mai, espérons que ses décideurs sauront en augmenter l’efficacité, mais aussi en corriger les défauts.