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«La plupart de nos concitoyens considèrent qu’il s’agit d’une politique de deux poids, deux mesures». Une interview avec Dejan Šoškić  
«Les États-Unis améliorent leurs relations avec la Russie chaque fois que leur approche militaire se heurte à un mur». Une interview avec Pascal Lottaz

«La plupart de nos concitoyens considèrent qu’il s’agit d’une politique de deux poids, deux mesures». Une interview avec Dejan Šoškić  

Né en 1967, ancien Gouverneur de la Banque nationale de Serbie (2010-2012), Dejan Šoškić est aujourd’hui Professeur titulaire à la faculté d’économie (EFB) de l’université de Belgrade et Membre de l’Académie serbe des sciences économiques.  

Guillaume de Sardes : Une fois élu, le Président Donald Trump s’est immédiatement engagé dans la résolution du conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine depuis 2014. Un premier long appel téléphonique entre le Président des États-Unis et celui de Fédération de Russie a été suivi d’une rencontre de haut niveau à Riyad entre Marco Rubio et Sergueï Lavrov. Depuis, les négociations continuent et il semble que la position américaine se soit beaucoup rapprochée de la position russe. Sur quels points pensez-vous que les Russes pourront avoir gain de cause, sur quels autres pourraient-ils devoir céder ? 

Dejan Šoškić : Je me réjouis que des perspectives de paix en Ukraine commencent à se dessiner. Selon moi, le plus important est que les tueries et les destructions cessent le plus rapidement possible. Cette guerre, à mon avis, aurait pu être évitée et n’aurait jamais dû avoir lieu. La neutralité était un bon choix pour plusieurs pays d’Europe (Suisse, Autriche, Finlande…) pendant les décennies de la guerre froide, et il semble qu’elle ait bien servi ces nations. Si la même chose avait été offerte à l’Ukraine (et à la Géorgie…), la guerre, à mon avis, aurait été évitée. D’autre part, si l’expansion de l’OTAN à l’Est est d’une importance capitale pour la sécurité collective en Occident, la Russie aurait dû être l’une des premières à y adhérer et, là encore, toute guerre aurait, à mon avis, été évitée. Cependant, Gorbatchev, Eltsine et Poutine, dans les interviews qu’ils ont accordées aux médias occidentaux, affirment tous qu’à leur époque, ils ont demandé à adhérer à l’OTAN, mais que les États-Unis les ont rejetés. Dans l’état actuel des choses, je pense que la paix est possible si l’Ukraine reste neutre indéfiniment et si les quatre oblasts et la Crimée restent dans la Russie. Ce que la Russie pourrait concéder serait de ne pas incorporer Odessa et Kharkiv et de maintenir l’accès de l’Ukraine à la mer Noire.  

Ces négociations ont une forte dimension économique. La Russie réclame une levée des sanctions dont les États-Unis eux-mêmes pourraient bénéficier. ExxonMobil avait par exemple investi dans un projet pétrolier russe à Sakhaline, investissement auquel la Major américaine avait dû renoncer à cause de l’invasion russe. Comment pourrait se passer une relance des échanges économiques – lesquels n’ont jamais été complétement interrompus – entre les deux pays ? Quels sont les secteurs qui pourraient en bénéficier le plus ? 

À mon avis, c’est l’Europe occidentale et la Russie qui sont les mieux placées pour coopérer. Les États-Unis et la Russie partagent certaines similitudes en ce sens qu’ils disposent tous deux de ressources naturelles, d’un immense territoire, de technologies nucléaires, spatiales et militaires. Il existe néanmoins des possibilités de coopération entre les États-Unis et la Russie. Je ne pense pas que la Russie soit disposée à autoriser l’exploitation de ses ressources naturelles par des entreprises occidentales. Néanmoins, la coopération dans le domaine de certains aspects de la haute technologie (télécommunications, espace, biotechnologie…), l’agriculture, le commerce des métaux, de l’uranium, des minéraux des terres rares, la coopération potentielle dans le Grand Nord, constituent des domaines précieux de coopération potentielle entre la Russie et les États-Unis. Sans parler des traités sur les armes nucléaires et du désarmement potentiel, que l’on espère également.   

Pensez-vous qu’un tel rapprochement économique pourrait se traduire sur le plan géopolitique ? Notamment par une prise de distance de la Russie vis-à-vis de la Chine ? Selon vous, est-ce une dimension du problème que Donald Trump a en tête ? 

Il est possible que Trump ait cette idée en tête, mais j’ai du mal à croire qu’après l’expérience que la Russie a acquise en matière de relations internationales au cours des dix dernières années environ, elle renoncerait à développer ses relations avec la Chine, l’Inde et l’ensemble des pays du Sud, au profit de ce qui pourrait potentiellement venir des États-Unis ou de l’ensemble de l’Occident. Le pouvoir industriel, technologique et financier mondial s’est déplacé et de nouvelles réalités ont été établies.

Pourriez-vous nous rappeler quelle a été et qu’elle est aujourd’hui la position de la Serbie vis-à-vis du conflit qui oppose l’Ukraine, soutenue par les Occidentaux et leurs alliés, à la Russie ?  

La position officielle de la Serbie a été de soutenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais de ne pas imposer de sanctions à la Russie.

Quels sont les principaux problèmes que les sanctions américaines et européennes ont posé à la Serbie ?  

Les sanctions occidentales à l’égard de la Russie ont davantage ouvert un débat interne sur les politiques de l’Occident qu’elles n’ont eu un effet économique négatif significatif sur la Serbie, puisque nous avons décidé de ne pas suivre la politique de sanctions de l’Occident. La Serbie a historiquement des relations relativement bonnes avec la Russie, mais aussi, du moins le pensions-nous jusqu’aux années 90, avec la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Toutefois, la plupart des citoyens serbes ne peuvent oublier les bombardements de l’OTAN sur la Serbie en 1999. Et la plupart des gens voient clairement que lorsque la Serbie a combattu ses séparatistes au Kosovo et en Métochie en 1998 et 1999, pour préserver son intégrité territoriale, elle a été lourdement punie par des bombardements, des sanctions et la séparation du Kosovo du reste de la Serbie par l’Occident. Dans le même temps, les Serbes constatent aujourd’hui que lorsque l’Ukraine combat ses séparatistes dans le Donbas, elle est massivement soutenue par ce même Occident. La plupart de nos concitoyens considèrent qu’il s’agit là d’une politique de deux poids, deux mesures de l’Occident à laquelle notre pays ne devrait pas souscrire et qu’il faut donc s’abstenir de sanctionner la Russie.  

Quels avantages économiques la Serbie pourrait-elle tirer d’une prochaine lever des sanctions ?  

La levée des sanctions occidentales à l’égard de la Russie permettrait à notre compagnie pétrolière nationale (Naftna industrija Srbije) de fonctionner normalement, étant donné que ses propriétaires sont majoritairement russes (entités liées à Gazprom), et contribuerait à stabiliser nos approvisionnements énergétiques globaux. En ce qui concerne les autres exportations et importations, la Serbie est principalement liée à l’UE et n’a pas réalisé d’investissements significatifs en Russie, pas plus qu’elle n’a exporté beaucoup vers le marché russe. La levée des sanctions à l’encontre de la Russie aurait un effet économique plus important sur les pays qui avaient des investissements et des exportations vers la Russie.  

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