Chaque élection présidentielle et parlementaire en Pologne confirme la même thèse : le pays est divisé en deux Pologne. Un coup d’œil sur la carte du second tour de l’élection présidentielle révèle une coïncidence géographique presque exacte avec les frontières historiques des anciens empires qui ont divisé la Pologne au 19e siècle. À l’ouest et au nord se trouvent les anciennes terres allemandes cédées à la Pologne après la Seconde Guerre mondiale. À l’est et au sud, les territoires longtemps contrôlés par les empires russe et austro-hongrois.

Cette frontière historique coïncide avec la frontière politique. Les anciens territoires allemands votent pour des candidats libéraux, partisans de l’intégration européenne, du pluralisme, de la modernisation et de la laïcité. Tandis que l’est et le sud du pays votent traditionnellement pour des conservateurs, défenseurs des valeurs catholiques, de l’identité nationale et du paternalisme social.
Cette résistance est conditionnée par l’histoire, mais sa raison est socio-économique. Les terres des anciens empires russe et austro-hongrois sont des territoires ruraux. L’industrialisation de ces parties de la Pologne était peu développée : ni l’Empire russe ni l’Autriche-Hongrie n’ont investi dans le développement des villes et des infrastructures, contrairement à l’Allemagne, qui a activement construit des usines, des chemins de fer et développé le système éducatif sur son territoire. Il en résulte une faible urbanisation et l’absence d’une classe moyenne urbaine typique.
C’est là la principale différence : ce n’est pas tant la région qui vote que le groupe social. La ville vote pour les libéraux, la campagne pour les conservateurs. La Pologne est un pays où le taux d’urbanisation est d’environ 60 %, ce qui est beaucoup plus faible que dans la plupart des pays européens (par exemple, en Suède, il est de près de 90 %). Cela signifie que l’électorat rural en Pologne a encore une grande influence politique.
Ainsi, l’élection présidentielle polonaise n’est pas seulement une bataille de programmes politiques. Elle reflète le profond clivage historique et social entre la ville et la campagne, entre la modernité et la tradition, entre l’Ouest industriel post-allemand et l’Est agraire post-impérial. Tant que le niveau d’urbanisation restera faible, la « Pologne rurale » conservera son influence électorale et les conservateurs auront donc de grandes chances de l’emporter.