Le 2 septembre 2025, lors de la visite de Vladimir Poutine à Pékin, la Russie et la Chine ont signé un mémorandum juridiquement contraignant encadrant le lancement du gazoduc Force de Sibérie 2, un tube géant qui doit relier les gisements de Yamal à la Chine via la Mongolie d’ici 2030. Avec une capacité de 50 milliards de m3 par an, ce projet est une étape décisive dans la réorientation des exportations russes vers l’Est et dans le renforcement du partenariat stratégique entre Moscou et Pékin.
Force de Sibérie 2 n’est pas seulement une infrastructure énergétique, il symbolise une réorientation géoéconomique de long terme : la Russie et la Chine renforcent encore leur alliance grâce à ce nouvel axe énergétique. Ce projet leur est mutuellement bénéfique. Pour Pékin, c’est l’assurance d’un approvisionnement massif et terrestre en gaz, à l’abri des menaces qui pourraient peser sur les routes maritimes. Cela renforcera son pouvoir de négociation face aux grands exportateurs de gaz liquéfié (États-Unis, Qatar, Australie). Pour Moscou, c’est la garantie d’un débouché fiable, compensant et entérinant la perte définitive du marché européen.
Car ce projet scelle la rupture structurelle entre l’Europe et la Russie. Là où l’Union européenne pouvait naguère compter sur des flux de gaz bon marché, elle devra désormais se tourner vers un marché mondial du GNL plus concurrentiel et plus coûteux. Avec la signature de ce mémorandum, un « retour à la normale », à la situation d’avant 2022, n’est plus envisageable : les volumes de gaz autrefois destinés à l’Europe (notamment via le gazoduc Yamal-Europe qui aboutissait en Allemagne) sont désormais promis à la Chine pour au moins 30 ans.
Les implications pour l’Union européenne sont lourdes : hausse structurelle des prix de l’énergie, avec une volatilité accrue en hiver ; perte de compétitivité industrielle, face aux États-Unis, qui bénéficient d’une énergie abondante et bon marché, et face à la Chine, qui sécurise du même coup ses approvisionnements énergétiques ; affaiblissement géopolitique, puisque Bruxelles ne dispose désormais plus d’aucun lien structurant avec la Russie.
Les responsables européens ont beau mettre en avant le développement accéléré des énergies renouvelables, la comparaison avec le gaz russe autrefois accessible est accablante. Le gaz sibérien livré par pipeline offrait une énergie abondante, pilotable et bon marché. À l’inverse, les renouvelables intermittentes (solaire, éolien) exigent des investissements initiaux massifs, un renouvellement régulier et des infrastructures de stockage coûteuses pour compenser leur variabilité. Même si leurs coûts unitaires ont baissé, le rendement effectif reste limité par l’intermittence et une nécessaire densification du réseau. L’UE a ainsi substitué à une énergie stable et compétitive un modèle plus cher, moins prévisible et dépendant de compléments (GNL, charbon ou nucléaire), accentuant son handicap industriel face à ses concurrents.
Ce désastre est le résultat d’un choix politique : l’actuelle classe dirigeante européenne, qui se révèle particulièrement incompétente, aveugle aux réalités énergétiques, a privilégié une logique d’affrontement à court terme au détriment d’une stratégie de sécurité sur le long terme. En se coupant impulsivement du gaz russe – ce qui n’a eu aucun des effets escomptés sur le déroulement de la guerre en Ukraine –, elle a plongé l’UE dans une fragilité énergétique durable qui aura pour inévitable conséquence une accélération de son déclin économique. Les effets se font déjà sentir, mais le pire est à venir.